moughtareb
03-01-2008, 09:46 PM
Le compte de nos peurs
, par Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/NAVPICS/rien.gif
Un jour, il faut s’arrêter. Faire le point, faire le compte de ses acquis, de ses régressions, de ses espérances et de ses fuites. Ce bilan quelque difficile qu’il puisse être est nécessaire et salutaire à tous les niveaux et pour tous les êtres humains. Pour les musulmanes et les musulmans cette analyse, ces comptes et cette introspection représentent en fait le sens et l’objectif bien compris de leur éducation spirituelle, intellectuelle, et tout simplement humaine. Revenir à Dieu, revenir à soi, revenir à l’essentiel, c’est prendre le temps de cet "arrêt", de ce silence, pour visiter nos habitudes, nos sentiments, nos engagements et jusqu’à notre façon de nous exprimer. Au fond, peut-être que la voie la plus profonde et la plus révélatrice, quant a une meilleure connaissance de ce que nous sommes et de ce que nous faisons, consiste à commencer par visiter nos peurs ; nos peurs les plus profondes, les plus cachées... les plus insidieuses aussi. Parle-moi de tes peurs, je te dirai qui tu es, où tu vas
- Seul à seul
Chacun connaît ce trouble qui vient des profondeurs et qui agite en nous mille et un doutes, mille et une craintes. Connaître ses responsabilités, prendre la mesure de ses défauts et de ses manques et se sentir envahi par la peur de ne point pouvoir faire face. Peur de soi, peur de ses faiblesses. Epreuve de la spiritualité quand on se sent si loin, si mal, si négligent avec Le Très-Rapproché. Epreuve de l’intelligence quand on se sent dépassé, que la connaissance nous manque, noyés par la complexité. Epreuve de notre humanité quand l’énergie nous fuit, quand la paresse nous éloigne de plus petit des actes de solidarité. La peur prend possession de notre intimité, lentement, insidieusement, et dessine autour de notre conscience les contours de sa prison : elle peut nous enchaîner, nous museler, nous meurtrir. C’est l’autre face de la peur première étape positive des voies de l’humilité révérencielle, elle devient alors la chape de plomb sous laquelle étouffent tant de musulmanes et de musulmans qui ne croient plus en leurs capacités spirituelles ou intellectuelles, qui se transforment en victimes et comptent sur d’autres pour s’éduquer, agir et reformer le monde. La crainte, qui aurait dû être une source, est devenue une blessure : la confiance s’en est allée, et l’énergie... De cette peur, il faut prendre la mesure
- L’image
La peur peut attaquer de l'intérieur, mais elle peut aussi nous assaillir de l’extérieur. Un regard ici, un mot là, un jugement, une réputation, et le poids de la majorité. Peur de sa différence. Il est tellement plus facile de faire comme ils font, La de penser comme ils pensent, d’être invisible dans la foule et l’anonymat. La solution parait simple : ... "faire comme si" en surface, à n’importe quel prix, et aménager au mieux le malaise des profondeurs. Mais le cœur a ses raisons que les mises en scène ne sauraient nier. On se sent perturbe, miné, esseulé et la crainte nous envahit dont nous n’osons pas parler. A qui d’ailleurs pourrait-on en parler ? Aujourd’hui, il faut faire deux fois "comme si" : A la surface de nos actes quotidiens, montrer aux uns la réalité de notre intégration et aux autres l’inébranlable intensité de notre foi... et taire ses peurs. Surtout ne rien en dire, ne rien en révéler, ne rien dévoiler : l’image que les autres ont de nous est tellement importante. Leurs jugements sont tellement impitoyables : deuxième prison. De cette peur, il faut prendre la mesure
- La division
Parfois, l’on a envie de crier, de se révolter. Il y a tant d’hypocrisies, de mensonges et de tromperies ! Mais on nous a enseigne qu’il fallait éviter la division, la fitna. La crainte de ne pas respecter l’injonction coranique "ne vous divisez point" (Coran III, 103) se traduit par une attitude devenue passive, conciliante jusqu’à la démission. La peur de la division se traduit aujourd’hui par la réalité d’une communauté qui ne sait plus débattre, qui a peur d’elle-même, qui accepte en silence les compromissions et les trahisons. Il se pourrait que l’injonction coranique la plus mal comprise et la plus dévoyée soit bien celle-ci et, en cela, la cause première de toutes nos errances : "Ne vous divisez point" n’a jamais voulu dire "Acceptez les hypocrisies des uns", "Cautionnez les mensonges des autres", "Soyez complices de la trahison des troisièmes". Chercher l’union dans l’idéal n’a jamais voulu dire fuir les exigences parfois déchirantes et conflictuelles de la réalité. Le Prophète (BSL) a dû faire face à l’hypocrisie, au mensonge, aux trahisons... certains disaient avec leur bouche ce qui n’était point dans leur cœur, d’autres construisaient des mosquées "vitrines" sans piété et nourri de sombres intentions, d’autres enfin complotaient avec le pouvoir ennemi. La Révélation lui a-t-elle un jour sommé de se taire, d’observer, de composer, la peur au ventre ? Jamais, bien au contraire. Il fut vigilant, strict et il n’a fuit ou refusé aucun conflit si celui-ci était incontournable pour que soit entendue la parole de l’honnêteté et de la transparence. La sagesse nous impose de chercher la paix et la réconciliation, certes, mais à la condition de la justice. Dans le cas contraire, il faut s’armer de courage pour dire, dénoncer, refuser et reformer. La critique est salutaire si l’intention qui la porte est tournée vers le bien, l’équité et la justice... mais si nos silences, apparemment très sages, cachent la peur et la veulerie, alors cette sagesse est un mensonge. De cette peur, il faut prendre la mesure
-le pouvoir
Combien se taisent et veulent faire croire que leur silence est sagesse, pondération, grandeur d’âme ?... combien cachent derrière leur diplomatie un amour encore trop visible pour les titres, l’argent et le pouvoir ?... Combien réinterprètent à leur guise, et à leur avantage, la vie du Prophète (BSL) et celle des grandes figures musulmanes de l’histoire pour justifier leur attitude, leurs très "fines stratégies", leurs claires compromissions ?... Peur des pouvoirs, amour du pouvoir. Mais le Prophète (BSL) nous a enseigne de "dire la vérité, même si elle est amère"... et elle est bien amère aujourd’hui. Combien de pouvoirs, combien de musulmans trahissent affrontement, et au nom de l’islam bien souvent, les principes de notre religion ? Combien, dans le monde, répandent le mensonge, la trahison, la torture et la mort au vu et au su de tous ? Combien, en Europe, complotent avec des dictatures ou se vendent au plus offrant ? Combien pour être reconnus ne connaissent plus les leurs ?... La crainte nous paralyse et pour faire bonne figure nous habillons nos peurs démissionnaires du manteau de la sagesse qui pondère, de la sérénité qui examine et de l’intelligence qui évalue. A la surface de nos justifications, il faudra bien admettre un jour que le courage nous manque... tout simplement, et que la vie et le monde recèlent encore de très beaux attraits à nos yeux. De cette peur, il faut prendre la mesure
La crainte révérentielle
Il y a craintes et crainte... celles dont nous avons parlé sont communes et connues. On les trouve naturellement chez tous les êtres humains, à la surface de leurs questionnements, de leurs doutes, de leurs malaises et de leurs passions. Elles sont des "craintes-prisons", elles oppressent et elles torturent, elles répandent le brouillard et l’opacité. Le Prophète (BSL), les compagnons et les mystiques musulmans nous ont montré la voie d’une autre crainte. Profonde, singulière, lumineuse. Elle exige une éducation du cœur, un retour dans les profondeurs de notre intimité, une concentration de notre être dans le cheminement vers l’Etre, l’Unique. Ici l’on se sent envahi par une autre crainte, la crainte révérencielle, la "crainte-libération"... la crainte amoureuse de l’Un qui nous libère des craintes multiples de tous les autres. Elle naît d’un voyage intérieur qui donne des racines à notre présence, elle est fille d’un retrait qui nous interdit la fuite, elle est notre fragilité devant Lui et nous octroie la force devant les hommes. Une peur sans angoisse. Elle requiert l’effort silencieux et solitaire, la recherche de la paix intérieure, le rappel et la détermination : une éducation. Le Prophète (BSL) nous en a montré la voie, les savants et les mystiques nous en ont montré les chemins. Si la crainte et l’amour révérenciels envahissent le cœur, alors les peurs s’évaporent, la confiance se façonne avec cette énergie spirituelle qui naît de l’humilité. Il ne s’agit pas alors de fuir le monde et ses problèmes, au contraire... le Prophète (BSL), les rapprochés et les initiés n’ont jamais été des déserteurs... au contraire, il s’agit de réinvestir la société des êtres humains et, profondément libères des peurs de surface, de dire la parole de vérité, de lutter pour la justice, de refuser toutes les compromissions, toutes les démissions, toutes les trahisons. Il en est que l’adversité a confondu... ils se sont liquéfiés, trahis, perdus sous le poids de leurs peurs. Il en est d’autres qui s’abreuvent à la seule source de Vie et, en Sa Présence, ne craignent plus que Lui. Il faut prier Dieu pour qu’Il nous offre d’être du nombre de ceux-ci
, par Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/NAVPICS/rien.gif
Un jour, il faut s’arrêter. Faire le point, faire le compte de ses acquis, de ses régressions, de ses espérances et de ses fuites. Ce bilan quelque difficile qu’il puisse être est nécessaire et salutaire à tous les niveaux et pour tous les êtres humains. Pour les musulmanes et les musulmans cette analyse, ces comptes et cette introspection représentent en fait le sens et l’objectif bien compris de leur éducation spirituelle, intellectuelle, et tout simplement humaine. Revenir à Dieu, revenir à soi, revenir à l’essentiel, c’est prendre le temps de cet "arrêt", de ce silence, pour visiter nos habitudes, nos sentiments, nos engagements et jusqu’à notre façon de nous exprimer. Au fond, peut-être que la voie la plus profonde et la plus révélatrice, quant a une meilleure connaissance de ce que nous sommes et de ce que nous faisons, consiste à commencer par visiter nos peurs ; nos peurs les plus profondes, les plus cachées... les plus insidieuses aussi. Parle-moi de tes peurs, je te dirai qui tu es, où tu vas
- Seul à seul
Chacun connaît ce trouble qui vient des profondeurs et qui agite en nous mille et un doutes, mille et une craintes. Connaître ses responsabilités, prendre la mesure de ses défauts et de ses manques et se sentir envahi par la peur de ne point pouvoir faire face. Peur de soi, peur de ses faiblesses. Epreuve de la spiritualité quand on se sent si loin, si mal, si négligent avec Le Très-Rapproché. Epreuve de l’intelligence quand on se sent dépassé, que la connaissance nous manque, noyés par la complexité. Epreuve de notre humanité quand l’énergie nous fuit, quand la paresse nous éloigne de plus petit des actes de solidarité. La peur prend possession de notre intimité, lentement, insidieusement, et dessine autour de notre conscience les contours de sa prison : elle peut nous enchaîner, nous museler, nous meurtrir. C’est l’autre face de la peur première étape positive des voies de l’humilité révérencielle, elle devient alors la chape de plomb sous laquelle étouffent tant de musulmanes et de musulmans qui ne croient plus en leurs capacités spirituelles ou intellectuelles, qui se transforment en victimes et comptent sur d’autres pour s’éduquer, agir et reformer le monde. La crainte, qui aurait dû être une source, est devenue une blessure : la confiance s’en est allée, et l’énergie... De cette peur, il faut prendre la mesure
- L’image
La peur peut attaquer de l'intérieur, mais elle peut aussi nous assaillir de l’extérieur. Un regard ici, un mot là, un jugement, une réputation, et le poids de la majorité. Peur de sa différence. Il est tellement plus facile de faire comme ils font, La de penser comme ils pensent, d’être invisible dans la foule et l’anonymat. La solution parait simple : ... "faire comme si" en surface, à n’importe quel prix, et aménager au mieux le malaise des profondeurs. Mais le cœur a ses raisons que les mises en scène ne sauraient nier. On se sent perturbe, miné, esseulé et la crainte nous envahit dont nous n’osons pas parler. A qui d’ailleurs pourrait-on en parler ? Aujourd’hui, il faut faire deux fois "comme si" : A la surface de nos actes quotidiens, montrer aux uns la réalité de notre intégration et aux autres l’inébranlable intensité de notre foi... et taire ses peurs. Surtout ne rien en dire, ne rien en révéler, ne rien dévoiler : l’image que les autres ont de nous est tellement importante. Leurs jugements sont tellement impitoyables : deuxième prison. De cette peur, il faut prendre la mesure
- La division
Parfois, l’on a envie de crier, de se révolter. Il y a tant d’hypocrisies, de mensonges et de tromperies ! Mais on nous a enseigne qu’il fallait éviter la division, la fitna. La crainte de ne pas respecter l’injonction coranique "ne vous divisez point" (Coran III, 103) se traduit par une attitude devenue passive, conciliante jusqu’à la démission. La peur de la division se traduit aujourd’hui par la réalité d’une communauté qui ne sait plus débattre, qui a peur d’elle-même, qui accepte en silence les compromissions et les trahisons. Il se pourrait que l’injonction coranique la plus mal comprise et la plus dévoyée soit bien celle-ci et, en cela, la cause première de toutes nos errances : "Ne vous divisez point" n’a jamais voulu dire "Acceptez les hypocrisies des uns", "Cautionnez les mensonges des autres", "Soyez complices de la trahison des troisièmes". Chercher l’union dans l’idéal n’a jamais voulu dire fuir les exigences parfois déchirantes et conflictuelles de la réalité. Le Prophète (BSL) a dû faire face à l’hypocrisie, au mensonge, aux trahisons... certains disaient avec leur bouche ce qui n’était point dans leur cœur, d’autres construisaient des mosquées "vitrines" sans piété et nourri de sombres intentions, d’autres enfin complotaient avec le pouvoir ennemi. La Révélation lui a-t-elle un jour sommé de se taire, d’observer, de composer, la peur au ventre ? Jamais, bien au contraire. Il fut vigilant, strict et il n’a fuit ou refusé aucun conflit si celui-ci était incontournable pour que soit entendue la parole de l’honnêteté et de la transparence. La sagesse nous impose de chercher la paix et la réconciliation, certes, mais à la condition de la justice. Dans le cas contraire, il faut s’armer de courage pour dire, dénoncer, refuser et reformer. La critique est salutaire si l’intention qui la porte est tournée vers le bien, l’équité et la justice... mais si nos silences, apparemment très sages, cachent la peur et la veulerie, alors cette sagesse est un mensonge. De cette peur, il faut prendre la mesure
-le pouvoir
Combien se taisent et veulent faire croire que leur silence est sagesse, pondération, grandeur d’âme ?... combien cachent derrière leur diplomatie un amour encore trop visible pour les titres, l’argent et le pouvoir ?... Combien réinterprètent à leur guise, et à leur avantage, la vie du Prophète (BSL) et celle des grandes figures musulmanes de l’histoire pour justifier leur attitude, leurs très "fines stratégies", leurs claires compromissions ?... Peur des pouvoirs, amour du pouvoir. Mais le Prophète (BSL) nous a enseigne de "dire la vérité, même si elle est amère"... et elle est bien amère aujourd’hui. Combien de pouvoirs, combien de musulmans trahissent affrontement, et au nom de l’islam bien souvent, les principes de notre religion ? Combien, dans le monde, répandent le mensonge, la trahison, la torture et la mort au vu et au su de tous ? Combien, en Europe, complotent avec des dictatures ou se vendent au plus offrant ? Combien pour être reconnus ne connaissent plus les leurs ?... La crainte nous paralyse et pour faire bonne figure nous habillons nos peurs démissionnaires du manteau de la sagesse qui pondère, de la sérénité qui examine et de l’intelligence qui évalue. A la surface de nos justifications, il faudra bien admettre un jour que le courage nous manque... tout simplement, et que la vie et le monde recèlent encore de très beaux attraits à nos yeux. De cette peur, il faut prendre la mesure
La crainte révérentielle
Il y a craintes et crainte... celles dont nous avons parlé sont communes et connues. On les trouve naturellement chez tous les êtres humains, à la surface de leurs questionnements, de leurs doutes, de leurs malaises et de leurs passions. Elles sont des "craintes-prisons", elles oppressent et elles torturent, elles répandent le brouillard et l’opacité. Le Prophète (BSL), les compagnons et les mystiques musulmans nous ont montré la voie d’une autre crainte. Profonde, singulière, lumineuse. Elle exige une éducation du cœur, un retour dans les profondeurs de notre intimité, une concentration de notre être dans le cheminement vers l’Etre, l’Unique. Ici l’on se sent envahi par une autre crainte, la crainte révérencielle, la "crainte-libération"... la crainte amoureuse de l’Un qui nous libère des craintes multiples de tous les autres. Elle naît d’un voyage intérieur qui donne des racines à notre présence, elle est fille d’un retrait qui nous interdit la fuite, elle est notre fragilité devant Lui et nous octroie la force devant les hommes. Une peur sans angoisse. Elle requiert l’effort silencieux et solitaire, la recherche de la paix intérieure, le rappel et la détermination : une éducation. Le Prophète (BSL) nous en a montré la voie, les savants et les mystiques nous en ont montré les chemins. Si la crainte et l’amour révérenciels envahissent le cœur, alors les peurs s’évaporent, la confiance se façonne avec cette énergie spirituelle qui naît de l’humilité. Il ne s’agit pas alors de fuir le monde et ses problèmes, au contraire... le Prophète (BSL), les rapprochés et les initiés n’ont jamais été des déserteurs... au contraire, il s’agit de réinvestir la société des êtres humains et, profondément libères des peurs de surface, de dire la parole de vérité, de lutter pour la justice, de refuser toutes les compromissions, toutes les démissions, toutes les trahisons. Il en est que l’adversité a confondu... ils se sont liquéfiés, trahis, perdus sous le poids de leurs peurs. Il en est d’autres qui s’abreuvent à la seule source de Vie et, en Sa Présence, ne craignent plus que Lui. Il faut prier Dieu pour qu’Il nous offre d’être du nombre de ceux-ci